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Les spectacles de tango
 
Tanguera
 
Mise en scène
 Omar Pacheco
 
Chorégraphie
 Mora Godoy
 
Direction musicale
 Lisandro Aldover
 
Date 2006 Genre Comédie musicale Pays Argentine
 
 
Commentaire
 

"Tanguera", un spectacle chorégraphique s'accouplant avec la comédie musicale, à l'affiche du Théâtre du Châtelet à Paris jusqu'au 21 septembre, est une plongée dans l'univers machiste et violent du Buenos Aires du début du XIXe siècle, sublimé par l'esthétique du tango.

Malgré un scénario assez mince - une séduisante française, à peine débarquée, est soustraite à l'homme qu'elle aime par un souteneur qui la force à se prostituer -, "Tanguera" parvient à capter l'attention grâce à des chorégraphies bien réglées, des tableaux enchaînés sur un rythme soutenu, des numéros parfois brillants et plusieurs danseurs de haute volée.

"Tanguera" commence au son d'un bandonéon, joué par Lisandro Aldover - le directeur musical de l'orchestre - devant un décor où une grue, des filins, un ponton de navire et quelques ballots suggèrent assez naïvement le port de Buenos Aires. Il se termine une heure vingt minutes plus tard par un bal en rappel, évoquant ceux de l'âge d'or du tango, dans les années 40 et 50.

Entre ces deux images fortes du tango, "Tanguera" nous entraîne dans un monde de la nuit où s'affrontent les hommes, casquettes de dockers contre borsalinos et gros cigares, où les comptes se règlent à coups de couteaux, d'épaules, de torses bombés, avec les femmes pour enjeu.

Du rythme, de subtils jeux de lumières, peu de temps faibles et quelques temps forts font de "Tanguera", malgré de petites fautes de goût, un spectacle de qualité, dont les clous sont les duos de danse sulfureux entre le "mac", Gaudencio (incarné par Oscar Martinez Fey, maître de ballet de la troupe) et sa victime, Giselle (Gabriela Amalfitani).

L'emploi à bon escient de la technique de l'arrêt sur image - les danseurs se figeant à de brefs moments afin d'appuyer le trait - apportent un supplément d'intensité dramatique à certaines scènes d'une histoire tragique ayant pour décor le quartier de La Boca, son bordel, sa place, sa rue sombre, théâtre de règlements de compte.

La musique propose des tangos très arrangés, flirtant avec le jazz, la musique cubaine ou le music hall où s'illustre particulièrement Fabian Dario Zylberman (saxophone, flûte, clarinette), au sein d'un ensemble de 14 musiciens.

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"Tanguera", un show de tango tout en muscles

Comment une chorégraphie peut faire oublier un livret indigeste : c'est la surprise du spectacle Tanguera qui ouvre la saison du Théâtre du Châtelet le 2 septembre. Ce show de tango, plébiscité par le public argentin (il a tenu l'affiche dix-huit mois à Buenos Aires) et international, enfonce les portes ouvertes d'une danse sexuelle nichée dans des cabarets obscurs, qui fait la mauvaise réputation de ce genre musical autant que dansé.

Le spectacle mis en scène par Omar Pacheco et chorégraphié par Mora Godoy, pour vingt danseurs, tente d'imposer l'idée d'un théâtre musical, voire se revendique comme la première comédie musicale tango, sauf que la chanteuse n'a qu'un répertoire de trois mélodies et que les danseurs se contentent - et c'est déjà beaucoup - de danser. Cette ambition se dresse contre la structure générale des spectacles de tango qui se contentent de mettre bout à bout des tableaux façon cabaret.

Quel scénario tient donc de porte-drapeau à Tanguera ? Le livret signé par Diego Romay et Dolores Espeja reluque vers les histoires tragiques, clichés de la littérature de gare : une jeune Européenne, Giselle, débarque en Argentine, est séduite par un mafieux qui la met au turbin. Heureusement, la belle est protégée par un brave gars qui l'aime à en mourir. On devine la fin dès le début et peu importe d'ailleurs, tant l'éventuel intérêt de l'affaire se situe ailleurs.

Le choix du prénom de Giselle, pas anodin dans la danse, revendique une étrange filiation avec le grand ballet romantique chorégraphié en 1841 par Jules Perrot sur la musique d'Adolphe Adam. Mais les points communs ne sautent pas aux yeux. D'un côté, l'amour mal adressé de Giselle, la paysanne, pour un aristocrate, sous l'oeil de son amoureux, qu'elle ne voit même plus. De l'autre, Giselle, un peu godiche, qui même prisonnière de Gaudencio, est amoureuse de son Lorenzo de docker...

L'utilisation d'un livret oblige la danse à exacerber le sens du propos en glissant vers le théâtre. Il dope l'invention chorégraphique, brutalise le tango et accélère son tempo. C'est d'ailleurs là le seul intérêt de ce scénario qui fait passer dans la danse toute la violence et les abus de pouvoir de Gaudencio. Le proxénète reprend la main sur Giselle en la faisant sauter dans ses bras. Et c'est en dansant et en se passant Giselle comme un paquet que lui et le docker règlent leurs comptes.

Virevoltant, coupant avec des jambes nettes, émaillé de portés et de sauts, de tours sur les genoux, Tanguera impose une partition sous adrénaline. Remontés à bloc, les danseurs ne lâchent pas le morceau. Mention spéciale à Nestor Dabel Zanabria dans le rôle de Gaudencio, qui danse si bien le méchant qu'on ne le reconnaît pas lorsqu'il vient saluer le public à la fin du spectacle.

Exceptionnellement, pour ce passage à Paris, Tanguera, qui se dansait accompagné par une bande-son, aura la chance d'être accompagné par un orchestre. Ce big band (piano, trois bandonéons, trois violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, des percussions et un saxo, une flûte et une clarinette jouées par un même interprète) jongle entre partitions traditionnelles tango et influence européenne du compositeur Gerardo Gardelin, dont la grand-mère quitta l'Espagne lors de la guerre civile et débarqua à Buenos Aires à l'âge de 17 ans. De quoi faire parfois trembler Tanguera sur ses appuis musclés.

Tanguera, mis en scène par Omar Pacheco et chorégraphié par Mora Godoy. Théâtre du Châtelet, place du Châtelet, Paris-4e. Mo Châtelet. Tél. : 01-40-28-28-40. Du 2 au 21 septembre. A 20 heures ; samedi, à 15 heures. De 10 € à 78 €.

Rosita Boisseau. LE MONDE | 29.08.08 |
 
Références bibliographiques