"Tanguera", un show de tango tout en muscles
Comment une chorégraphie peut faire oublier un livret indigeste : c'est la surprise du spectacle Tanguera qui ouvre la saison du Théâtre du Châtelet le 2 septembre. Ce show de tango, plébiscité par le public argentin (il a tenu l'affiche dix-huit mois à Buenos Aires) et international, enfonce les portes ouvertes d'une danse sexuelle nichée dans des cabarets obscurs, qui fait la mauvaise réputation de ce genre musical autant que dansé.
Le spectacle mis en scène par Omar Pacheco et chorégraphié par Mora Godoy, pour vingt danseurs, tente d'imposer l'idée d'un théâtre musical, voire se revendique comme la première comédie musicale tango, sauf que la chanteuse n'a qu'un répertoire de trois mélodies et que les danseurs se contentent - et c'est déjà beaucoup - de danser. Cette ambition se dresse contre la structure générale des spectacles de tango qui se contentent de mettre bout à bout des tableaux façon cabaret.
Quel scénario tient donc de porte-drapeau à Tanguera ? Le livret signé par Diego Romay et Dolores Espeja reluque vers les histoires tragiques, clichés de la littérature de gare : une jeune Européenne, Giselle, débarque en Argentine, est séduite par un mafieux qui la met au turbin. Heureusement, la belle est protégée par un brave gars qui l'aime à en mourir. On devine la fin dès le début et peu importe d'ailleurs, tant l'éventuel intérêt de l'affaire se situe ailleurs.
Le choix du prénom de Giselle, pas anodin dans la danse, revendique une étrange filiation avec le grand ballet romantique chorégraphié en 1841 par Jules Perrot sur la musique d'Adolphe Adam. Mais les points communs ne sautent pas aux yeux. D'un côté, l'amour mal adressé de Giselle, la paysanne, pour un aristocrate, sous l'oeil de son amoureux, qu'elle ne voit même plus. De l'autre, Giselle, un peu godiche, qui même prisonnière de Gaudencio, est amoureuse de son Lorenzo de docker...
L'utilisation d'un livret oblige la danse à exacerber le sens du propos en glissant vers le théâtre. Il dope l'invention chorégraphique, brutalise le tango et accélère son tempo. C'est d'ailleurs là le seul intérêt de ce scénario qui fait passer dans la danse toute la violence et les abus de pouvoir de Gaudencio. Le proxénète reprend la main sur Giselle en la faisant sauter dans ses bras. Et c'est en dansant et en se passant Giselle comme un paquet que lui et le docker règlent leurs comptes.
Virevoltant, coupant avec des jambes nettes, émaillé de portés et de sauts, de tours sur les genoux, Tanguera impose une partition sous adrénaline. Remontés à bloc, les danseurs ne lâchent pas le morceau. Mention spéciale à Nestor Dabel Zanabria dans le rôle de Gaudencio, qui danse si bien le méchant qu'on ne le reconnaît pas lorsqu'il vient saluer le public à la fin du spectacle.
Exceptionnellement, pour ce passage à Paris, Tanguera, qui se dansait accompagné par une bande-son, aura la chance d'être accompagné par un orchestre. Ce big band (piano, trois bandonéons, trois violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, des percussions et un saxo, une flûte et une clarinette jouées par un même interprète) jongle entre partitions traditionnelles tango et influence européenne du compositeur Gerardo Gardelin, dont la grand-mère quitta l'Espagne lors de la guerre civile et débarqua à Buenos Aires à l'âge de 17 ans. De quoi faire parfois trembler Tanguera sur ses appuis musclés.
Tanguera, mis en scène par Omar Pacheco et chorégraphié par Mora Godoy. Théâtre du Châtelet, place du Châtelet, Paris-4e. Mo Châtelet. Tél. : 01-40-28-28-40. Du 2 au 21 septembre. A 20 heures ; samedi, à 15 heures. De 10 € à 78 €.
Rosita Boisseau. LE MONDE | 29.08.08 |
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