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Certaines passions d'adolescent durent à jamais. Il en est ainsi du tango pour Ignacio Varchausky. En 1991, il a 15 ans et vénère le rock, comme ses copains de Buenos Aires. Un jour, son père lui fait découvrir un autre Ignacio, Corsini : il lui offre un enregistrement de ce grand chanteur de tango des années 1920 et 1930, né en Sicile, arrivé enfant, avec sa mère, en Argentine, et mort en 1967. Entre les deux Ignacio, c'est le coup de foudre. Une révélation qui aiguillera la vie du lycéen. "Ecoute ça, tu pourras l'emporter au collège pour danser !", avait souri son père en lui donnant la cassette. Aussitôt dit, aussitôt fait. Dans la cour de récré, ses camarades de classe eurent droit à un tango sorti du fond des âges. PROJET D'UNE FOLLE TENDRESSE A bientôt 34 ans, Ignacio Varchausky aime toujours les groupes de rock de sa jeunesse, Deep Purple ou Led Zeppelin. Mais l'amour du tango ne l'a jamais quitté et absorbe une bonne part de son temps. Avec pour principal objectif un projet d'une folle tendresse : sauver, en les numérisant, les quelque 100 000 enregistrements de tango réalisés par au moins 1 700 interprètes entre 1902 et 1995, année où l'ère analogique s'est achevée en Argentine. Près d'un siècle de tango en 33, 45 ou 78 tours, gravé sur cire, vinyle ou bande magnétique, mais aussi recueilli dans des émissions de radio ou des programmes filmés. Sans oublier, entre autres documents, les partitions, les multiples arrangements qui ont fait du tango un langage musical riche et complexe, les pochettes de disques ou les affiches de spectacles. Le tout inventorié, daté, classé par auteurs, interprètes, thèmes, genres musicaux, rythmes, instruments, dans une banque de données en construction. Elle sera accessible à tous, experts ou néophytes, facile à consulter et à écouter. La démarche d'Ignacio Varchausky s'apparente à celles de l'archiviste et de l'archéologue : rigoureuse, obstinée, subtile et infiniment patiente. Mais il est d'abord musicien, c'est sa vocation et son premier métier. A 19 ans, il fonde El Arranque ("le démarrage"), un orchestre de tango de huit interprètes où il tient la contrebasse. Le groupe a à son actif six admirables CD et de longues tournées aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, du palais de Chaillot au festival de Hongkong en passant par le Lincoln Center. En 2000, Ignacio crée, sous l'égide de la ville de Buenos Aires, l'orchestre-école de tango Emilio Balcarce, du nom d'un maître du genre qui le dirigera jusqu'en 2007 avant de céder la place à l'un de ses pairs, Nestor Marconi. Les jeunes élèves musiciens venus du monde entier – plus de 200 à ce jour – y apprennent, pendant deux ans, de la bouche des prestigieux maestros, les styles, le langage et les mille secrets du tango. L'histoire de cet apprentissage initiatique est racontée dans Une histoire de tango (Si sos brujo), un film de l'Américaine Caroline Neal sorti en 2008. Ignacio a aussi produit plusieurs spectacles de tango et une vingtaine d'albums d'artistes argentins et étrangers, comme l'actrice et chanteuse brésilienne Bibi Ferreira, 88 ans, qui a notamment popularisé dans son pays les chansons d'Edith Piaf. LES VRAIS HÉROS DE L'HISTOIRE Mais sauver le patrimoine est son plus grand souci. Encore étudiant, il découvre l'ampleur et l'urgence de la tâche : sur les 100 000 enregistrements répertoriés dans les catalogues, 20% seulement sont disponibles chez les disquaires, souvent en CD de mauvaise qualité. Les 80 000 autres appartiennent à une petite trentaine de collectionneurs, souvent très âgés, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon, mais pour l'essentiel en Argentine et en Uruguay, berceaux du tango. Dans les années 1960, les grandes maisons de disques ont détruit leurs matrices de tango, sacrifiées sur l'autel du rock et de la pop. En outre, plus de 3 000 enregistrements ont déjà été perdus pour toujours ainsi que des milliers d'heures de programmes radio et télé. Aucune institution, étatique, municipale ou universitaire, découvre-t-il alors, ne songe à préserver ce trésor culturel. Il alerte le Fonds national des arts, sans succès : "Ils avaient l'argent, mais mon idée ne les intéressait pas." En 2002, Ignacio Varchausky se jette à l'eau. Il fonde l'association – sans but lucratif – Tango Via Buenos Aires, à l'objectif ambitieux : "Préserver, développer et diffuser l'art du tango à Buenos Aires et dans le monde. " Il lui trouve pour parrain un maestro, le compositeur et pianiste Horacio Salgan, 94 ans. Il ébauche les premières archives numériques du tango, destinées à "préserver le patrimoine culturel du tango dans sa forme intégrale, thématique et chronologique". Le Grand Orchestre Tango Via Buenos Aires, né en 2003, participera, par ses concerts et ses disques, à ce travail de diffusion. Ignacio a plongé dans le monde étrange et merveilleux des collectionneurs de tangos : "Trente à quarante fous, dit-il, amusé. Ils sont les vrais héros de cette histoire. "Dès sa première rencontre, la chance lui sourit à pleines dents. Encore étudiant, il tombe sur une vieille revue qui mentionne le nom d'un Argentin surnommé "le fan de Corsini". Dans l'annuaire téléphonique, il trouve le numéro de sa fille, Beatriz, et les coordonnées du père, José Forsano, lequel, contacté, accepte de le recevoir. "Il m'annonce qu'il a chez lui les quelque 600 enregistrements du maestro. L'intégrale de l'œuvre ! se souvient Ignacio, encore ébloui. Il accepte de me les prêter petit à petit. Je les écoute sur le tourne-disque emprunté à mon père. Et chez un ami, nous les copions sur un CD." Débusquer les collectionneurs, puis les convaincre de prêter leurs pépites, exige constance et ténacité. La passion d'Ignacio est son meilleur sésame. Sa renommée croissante et la caution que lui apportent les professionnels feront le reste. Il n'empêche : le temps presse. "Dans dix ans, il sera trop tard pour sauver certains enregistrements uniques, prédit-il. C'est notre dernière chance. Les vieux disques se brisent, se détériorent ou se dispersent après la mort de leur propriétaire. Le moindre incident domestique, un début d'incendie, une fuite d'eau, et c'en est fini d'une collection inestimable. A cela s'ajoute la concurrence déloyale du marché noir qui fait disparaître les disques les plus cotés." |
Source : Le monde Magazine 12/09/2010
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- http://www.tangovia.org/adt-como.htm |