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Sebastian Arce
 
Le Focus de La Gazzetta. Juin 2007.   Interview avec Sebastian Arce
 

    Nous sommes à quelques jours de l'ouverture de la seconde édition du CITP, le Congrès International de Tango organisé par Sebastian Arce, Mariana Montes, Laure Thirion et l'association Tango Renaissance. Cela a été l'occasion pour la Gazzettango de rencontrer Sebastian et Mariana à Paris.

    Alors que ce jeune couple de danseur s'est imposé depuis plusieurs années comme un des principaux protagonistes du renouveau du Tango danse, notre entretien s'est d'emblé placé sous le signe des origines du Tango. L'occasion pour Sebastian Arce de nous rappeler l'importance de l'improvisation comme principe fondateur de ce qui allait devenir la culture Tango telle que nous la vivons aujourd'hui. A cette recherche constante de l'improvisation est venu se greffer aujourd'hui celle de l'expressivité.

    L'enjeu donc des prochaines années ne résiderait pas tant en une victoire chorégraphique et la réalisation de prouesses techniques mais plutôt dans la recherche expressive qui questionne et sonde le sens. Le tango est né d'un « bouillon de culture » où il fallut accepter et improviser pour rendre vivable les différences et lutter pour ne pas seulement survivre à la misère. En pariant chaque nuit que dans « l'inutile », la danse et la musique, se jouaient peut-être toute la vie.

    Et aujourd'hui....? En écoutant parler ce jeune couple qui a réussi à mener de front carrière artistique, recherche pédagogique, enseignement et vie associative, quelque chose s'exclame en moi. Je me dis : « tango de nuevo » ! Comme si cette appellation devait d'abord fêter le miracle de la renaissance du tango et de sa vivacité après 30 années de dictature en Argentine et le génocide sociale perpétré par des gouvernements successifs soldant leur pays sur les bons conseils des institutions financières mondiales.

    Le tango « nuevo » ne doit par être un concept marketing mais s'accompagner d'un point d'exclamation, de chants et de musique pour marquer notre désir de continuer à inventer sur les bases de ce que nos ainées ont eu la générosité de nous transmettre.

    Sebastian Arce et Mariana Montes ont été des gosses qui en ont bavé, qui ont osé, qui ont travaillé et sont là aujourd'hui, devenus adultes, pour nous mettre à la fête en offrant à Paris un festival digne de ce nom. Saluons aussi tous les artistes argentins qui ont contribué à faire vivre cette vieille histoire d'amour entre la France et l’Argentine. Danser le tango comme nous le rappelle cette interview : c'est danser l'exil. C'est être, le temps d'une milonga, l’immigrant qui débarque pour s'exiler d'un monde parfois inacceptable ou incompréhensible, pour croire ou espérer quelque chose de mieux, le cherchant dans les bras de l'altérité, « dansant l'autre », jusqu'aux premières lueurs du matin.

    Alors rendez vous dès jeudi au CITP ! Il apparait plus que jamais important de « danser l'exil » à Paris car nul ne peut dire, au regard des dernières actualités politique, combien de temps encore la France restera terre d'asile ? Sebastian Arce et Mariana Montes ont accepté de répondre à nos questions en français. Une traduction en anglais et espagnol est à venir pour les prochaines semaines.

 

Anna Baum, pour la Gazzettango.

 

« La recherche expressive est ce qui fera la différence dans les dix prochaines années »

Sebastian Arce

Anna Baum / Gazzettango

    Nous sommes à 10 jours de l'ouverture de la seconde édition du CITP, le Congrès International de Tango que vous organisez ici à Paris. Qu'est-ce qui vous a donné le désir avec votre association « Tango renaissance » de créer et promouvoir ce festival.

Sebastian Arce
    Nous participons à beaucoup d’événements en Europe, cette année au moins une trentaine. Et cela a été l’occasion pour nous de faire le constat que ce qui se passait à Paris par rapport au reste du monde était bien, mais insuffisant. Cela restait, d’autre part, sur un plan « pédagogique » un peu fait « à l’ancienne ».

    Donc nous nous sommes engagés à organiser un congrès avec l’idée initiale d’inviter des organisateurs de toutes les parties du monde et surtout de proposer une approche pédagogique d’un certain niveau. C’est aussi l’idée de s’inspirer et de reproduire en partie ce qui se passa à Bs As pendant le CITA organisé par Fabian Salas avec les avantages et les inconvénients d’être à Paris. Parce que évidement organiser un événement l’été à Paris c’est un peu difficile : c’est un pari osé.

AB / Gazzettango

    Donc pour vous la dimension pédagogique a une grande importance. Je sais que vous avez beaucoup réfléchi a construire un programme avec une idée de progression dans l’apprentissage. Peux-tu m’en dire un peu plus ?

SA
    Le constat que nous faisons souvent lorsque nous participons à différents festivals c’est que les élèves disposent d’une totale liberté au moment du choix des cours mais ils finissent néanmoins avec une idée peu claire de ce qu’ils ont appris.

    Lorsque l’on prend un cours sur un sujet comme « les saccadas » et ensuite on passe à tout autre chose comme les « ganchos » cela n’a aucun rapport. Bien sûr, les techniques sont différentes mais surtout la logique, le rapport que le corps a avec ces mouvements n’ont rien à voir. Pour nous professeurs cela ne nous facilite pas la tache lorsque des élèves prennent n’importe quel cours dans n’importe quel ordre. Et pour les élèves aussi ce n’est pas intéressant car ils apprennent deux ou trois trucs sans aborder les fondamentaux.

    C’est pour cela qu'au moment de faire le programme du congrès nous essayons de réfléchir à maintenir une certaine « co-relativité » entre les différents sujets et cours. Et nous nous concertons avec les autres profs en leur demandant de respecter cela. Ce qui n’est pas toujours facile. C’est vraiment un défi. C’est une chose qui a été faite l’année dernière et le premier a nous en avoir félicité c’est Fabian Salas qui a s’en inspire pour le CITA. Il y a maintenant plusieurs profs qui utilisent le même système. Je suis content car nous avons été en quelques sortes des pionniers. Je pense aussi que c’est une manière de marquer notre respect aux élèves, sinon ils dépensent leur argent inutilement.

AB / Gazzettango

    Le CITP se tiendra comme l'année dernière au Cabaret Sauvage au sein du parc de la Villette qui est un lieu magnifique.

Mariana Montes

    Oui, toujours au Cabaret Sauvage et cette année les cours et practicas de l’après midi auront lieu dans un centre de danse spacieux et agréable qui est proche. Les participants auront moins à se déplacer.

AB / Gazzettango

    Que pensez-vous des dernières évolutions du Tango dansé ?

SA
    Le tango comme n’importe quel autre art est en évolution constante. Ce n’est plus une danse « Folklorique », c’est un art universel. Néanmoins il est important de ne pas perdre un certain regard en arrière, si on le perd on ne sait plus ce que l’on fait. Pour les jeunes générations ou pour ceux qui jusqu’ici étaient étrangers à cette culture c’est d’autant plus important. Sinon c’est une sorte d’abandon.

Pour moi l’abandon le plus néfaste c’est d’oublier qu’aux origines du tango, il y a l’improvisation. Pendant quelques années d’ailleurs cette idée a été oubliée. Surtout lorsque le tango est monté sur la scène. C’est la première « bifurcation » dans l’histoire du tango le premier moment de décrochage par rapport au but même du Tango. Alors que pendant des années et des années ce but a été l’improvisation lié à l’introspection : c'est-à-dire jouer ou danser pour soi même.

Quand le tango a commencé a être demandé par l’audience, il y eu un changement radical (je parle surtout du tango danse) c’est la que cette « introspection » fut menacée. Avec la musique le phénomène eu lieu beaucoup plus tôt, au début alors qu’il fut demandé aux musiciens de recommencer leur morceaux : « joue encore une fois la même chose ». C’est la qu’ils prirent l’habitude d’écrire la musique. Avant, c’était improvisé. Pour les danseurs cela fut beaucoup plus tard dans l’évolution de la danse, au début des années 50. Quand des danseurs qui n’étaient pas des professionnels (des plombiers, électriciens ou des mécaniciens…) ont été poussés sur la scène par des producteurs. C’était du tango « for export ». De cette époque la jusqu’au début des années 80 le tango a été complètement «desarraigado »…déraciné. Coupé de sa source expressive.

    Dans les années 80 cela commence à devenir plus intéressant quand Zotto met la milonga sur la scène. On commence a se dire que cela peut être intimiste aussi et pas seulement des jambes par ci, des jambes par la, des acrobaties. C’était plus : « retournons à la milonga ». Et après l’évolution de l'improvisation amènera encore un nouveau regard. C'est ce que nous devrions rechercher aujourd’hui : comme est né le tango, sans aucun autre but que celui de la proximité, de l’interaction homme/ femme. On ne cherche pas l’effet on cherche d’abord la sensation avec le partenaire. C’est l’origine même du tango. Là, j’ai perdu mon repère, c’était quoi, ta question...

AB / Gazzettango

Nous sommes parties de la continuité historique pour arriver à un sujet intéressant : le rapport entre le spectacle et le vivier originel, que représente un peu pour le tango, la milonga. Et tu remettais l’accent sur le fait que le tango est une culture de l’improvisation.

SA
    Exactement. Quand j’ai commencé à danser fin des années 80 (88, 89), nous constations que les gens reproduisaient sur scène des choses qui étaient faisables dans le bal aussi. Mais pour se rappeler ce type de séquence nous souffrions beaucoup. Nous prenions des cours avec Antonio Todaro et Pepito Avellaneda, ils nous enseignaient des choses mais tu devais travailler comme un fou pour retenir les séquences. Tout était appris par cœur. Nous nous disions, "c’est beau mais cela demande beaucoup de travail."

En même temps que je souffrais de cette situation, il y eu un groupe de danseurs qui a commencé à s’interroger en se disant « c’est bien, on peut apprendre cela et l’utiliser sur scène comme à la milonga, mais comment c’est fait ? Pourquoi ? » Alors ils ont commencé une recherche qui continue aujourd’hui et qui est celle de l’improvisation et de la créativité. C’est lorsque le danseur se demande comment les choses ont été faites qu’il peut arriver à composer. L’âge de la raison est né avec l’âge de la composition. Le danseur devient un artiste car capable de décomposer et recomposer.

    C’est la grosse différence entre les premiers milongueros et les danseurs d’aujourd’hui. Ils peuvent faire la même chose mais l’entendement de ce qu’ils font et les raisons qui les poussent à le faire sont différentes. Le danseur aujourd’hui le fera avec l’envie de composer et d’exprimer quelque chose de très clair. Alors que le milonguero c’est un autre but : celui de danser, simplement danser. Aujourd’hui le but c’est de laisser un message.

AB / Gazzettango

Pour toi Sebastian qu’est ce qui est en quelque sorte la source énergétique du tango : la milonga, ton travail de recherche, les démo, les festivals….Ou l’ensemble ?

SA
Pour moi….dure la question…. Je suis un peu un « alien » de ce point de vue là. Je me réveille le matin, je prends mon petit café en écoutant de vieux morceaux, je ne vais pas beaucoup au bal, j’écris des Tangos…Pour moi le Tango aujourd’hui je le trouve en moi, il est toujours là. Je n’ai pas besoin de dépendre d’une source, je l’ai appris comme une façon de vivre, comme Carlos Gavito qui disait " Le tango, ce n’est pas un pas, c'est une manière de vivre."

    Mais c’est vrai que pour les jeunes d'aujourd'hui la source elle est dans l’improvisation. Ce qui m'agace un peu parfois quand c'est poussé à l'extrême dans certaine Practica à Buenos Aires. Lorsqu’on recherche trop, on arrête de sentir. Quand la tête travaille autant, le sentiment ne se produit plus. C'est le problème avec un art c'est que sans ce sentiment provocateur d’expression il n’est plus un art, il reste une équation. C’est ce que l’on voit souvent dans les practica à Buenos Aires : les gens dansent, dansent, dansent sans s’arrêter et cela devient un exercice physique.

C'est pas mal d'être à la recherche, mais il faudrait que cette recherche physique parte d'une recherche plus profonde. Sinon c'est trop facile. Je peux entrainer un danseur de danse contemporaine au tango pendant un an ou deux ans : mais est-ce que vraiment ce qu’il fait né d’un sentiment ou seulement d’une recherche physique ? Il deviendra peut-être un grand danseur mais est-ce qu'il fait aura du sens ? C'est là toute la question.

La recherche expressive pour moi c'est ce qui fera la différence dans les prochains dix ans. Seulement ceux qui auront la capacité à mettre la recherche « chorégraphique » ou physique au service de l'expression survivront. Le fossé va se creuser de plus en plus entre ceux qui ne s'intéresseront qu'à réaliser des prouesses techniques « des pas » et les autres. C'est la clé.

    Ceux-la qui s'intéresseront en premier lieu à la recherche expressive deviendront des artistes et des artistes très complexes.

AB / Gazzettango

J'aimerais bien qu'on précise ce point qui effectivement est essentiel, pour toi l’enjeu futur est dans la prise en compte des différentes dimensions et de la complexité expressive qui n’est pas seulement artistique mais aussi philosophique, poétique et technique bien évidement.

SA
Exactement. Une « colgada » n'exprime pas la même chose qu'une « sacada ». Parlons techniquement. On peut créer des systèmes expressifs sur un mouvement. Mais il faut le chercher. Car si on cherche seulement le mouvement cela restera une équation.

MM
C'est aussi et surtout ce qui se passe au sein du couple qui est important. Le premier lieu d'expression c'est la communication au sein du couple de danseur. Qu'est ce qui se passe dans ce couple ? Qu’est ce qui s'exprime à travers cette relation ? Ce n’est pas toujours spectaculaire mais sans cela rien d’intéressant ne pourra être visible.

SA
Oui c'est vrai que c'est très important. Aujourd'hui on voit beaucoup de filles qui sont très inconfortables, en train de faire une « colgada » avec un « gancho » ou un « boleo ». En la regardant, elle est toute tordue, tu ne peux que la plaindre. Ils arrivent à composer quelques choses de très difficile mais il ya aucun plaisir.

AB / Gazzettango

C'est vrai qu'il ya de plus en plus de critères physiques qui rentrent en ligne de compte dans les critères d’évaluation surtout des danseuses. On a le sentiment en exagérant que de ne pas pouvoir faire le grand écart devient disqualifiant.

    Alors qu’au contraire une milonga qui a du sens devrait être un objet politique parfait : l’expression d’une démocratie. Il y a une circularité, des différences qui s'expriment et en même temps ca fonctionne. Il y a toujours un moment dans la soirée, un peu un état de grâce ou cela fonctionne. Ce n’est peut être pas par hasard si l’argentine est un pays porteurs d’expression collective aussi bien artistique que politique à travers l’invention de dispositif comme la milonga ou encor celles qui ont vu le jour suite à la crise économique de 2001 : les comités de quartier, les usines autogérés, le système de troc *…

SA
Nous sommes un pays fait par des immigrants.

Des immigrants qui vivaient au début du siècle dans des conditions difficiles, dans les ports, mais qui se sont aidé les uns et les autres. Chez l’argentin aujourd’hui encore il y a toujours ce sentiment de la nécessité de l'entraide mêlé, en même temps d'une volonté de progrès individuel. Donc c'est un sentiment très complexe, une ambivalence. Et toujours cette idée que « tout ira » mieux dans le futur. ...Si vous parlez avec un argentin vous verrez que nous avons toujours l'espoir : comme si nous étions toujours des immigrants. Avec le risque toujours de se suffire de l'espoir du futur et donc d'être trop en attente sans agir.

C'est la que le Tango est né dans ce partage entre les immigrants : russe, polak, italiens, français…
Ce partage de pauvreté, de rien, car ils n'avaient rien à partager. Et aujourd'hui cela se voit. Cette démocratie se voit. Je ne sais pas si c’est de la démocratie mais c’est de « l'acceptance ». On dit « acceptance » ?

AB / Gazzettango

Acceptation, mais « acceptance » c'est joli aussi.

SA
Je pense qu'il y a plus d'acceptation dans le tango que dans le reste de la société moderne. Le tango n'exige rien de nous, il accepte et tout du moins cela devrait être une de ces fonctions.

C'est pour ca que lorsqu'on me dit : « Tel chose ou tel pas ce n’est pas du tango, il faut faire comme ca et pas comme ca ». Moi je dis : « Mais si le tango vous a accepté pourquoi vous voulez empêcher aux autres d'accéder à leur tango ? ».Oui tu as raison cela vient d'une certaine solidarité qui a été indispensable à l'origine de notre histoire. Il ne faut pas oublier aussi que nous sommes une société extrême jeune. Nous sommes encore des immigrants, nous vivons encore avec cette sensation.

J'ai un contact en ce moment avec une amie russe. Lorsque je vois les marques que l’Union Soviétique a laissé....jusqu'à la façon d'arranger les meubles…. Dans l'inconscient de la société, l'Union Soviétique est présente et cela se reflète au quotidien; Imagine pour nous les argentins : ce sentiment d'être immigrants cette mélancolie constante elle est encore la.

AB / Gazzettango

Le tango est mondial vous même vous voyager à travers le monde et toi tu rencontres de jolies jeune filles russes...Alors justement comment « ca s'exporte », comment la greffe prend ?

SA
Le tango a des propriété expressive qui sont universels : de l'amour, de la passion, de la trahison, de la mélancolie, de la joie. Il ya une gamme de sentiments sur lesquels se fondent la richesse expressive du tango qui le rendent facile a exporter. Mais forcement cela induira des changements : pour moi c'est très positif. Plus de dimension il ya aura plus le Tango s’enrichira.

Mais c'est difficile à analyser aujourd'hui. Nous voyons déjà des couples de professeurs de tango qui sont des natifs dans chaque pays. Mais c'est une nouvelle génération : on parle de gens qui ont commencé a danser depuis 8 ou 7 ans. Mais cette génération ne pourra influencer l'histoire du tango qu'à la fin de la prochaine décennie. Il y a de plus en plus de musiciens européens aussi aujourd'hui. Cela va avoir une influence. C'est certain et nous le découvrirons dans les années à venir.

AB / Gazzettango

Revenons à vous, à votre couple. Comment travaillez-vous pour vous préparez à une démonstration ?

SA
    Depuis 2005 j'ai décidé de ne plus faire de chorégraphie. Ou plutôt dans le laps de ces deux ans je n'ai fait de chorégraphie que pour le CITA. Je n’ai donc fait depuis deux ans que quatre chorégraphies interprétées qu’une seule fois chacune. Je me suis donc lancé avec Mariana dans un travail de recherche et d'improvisation. Je crois à travers ce travail avoir compris un certain nombre de chose sur moi-même et notre relation.

Evidemment certains pourraient dire que nous faisons de l'improvisation car nous sommes feignants. Il ya peut-être une partie de vérité (rire) mais c'est surtout une recherche expressive. Il y a une grosse différence entre improviser pour soi-même et improviser pour un public. improviser c’est un peu comme se dénuder, de toute façon, mais face à un public nous ne ferons jamais n’importe quoi. Nous essayons d’offrir une composition qui soit le plus près possible de l’idéal d’une chorégraphie mais en gardant l’émotion du temps réel.

C’est donc prendre un risque, se dénuder en disant voila ici sont nos sentiments et ici le mieux de ce que nous pouvons en faire. Nous ne trichons pas. Mais cela n’a rien à voir avec ce que nous allons faire avec Mariana seuls dans une salle lorsque nous travaillons, ou même dans un bal.

Aujourd'hui, après cette période d'investigation de deux ans nous souhaitons avec Mariana recommencer à chorégraphier certaine partie de nos interventions, mais l’expressivité occupera toujours le premier rôle. La base de notre travail restera la recherche de l’expressivité, danse avec contenu. C’est très important pour nous. Je suis fatigué, d’assister à des démonstrations qui ne sont que des mouvements, qui n’expriment rien. Si tu regardes les têtes des danseurs ils ne font que souffrir : tu vois que des têtes qui regardent au sol ou qui souffrent. Je voudrais que cela soit différent.

Je ne crois pas être le seul. Lorsque j'ai l'opportunité de travailler ou d'échanger avec Mariano « Chicho » Frumboli nous nous rendons compte que notre recherche est similaire. Il y en a d'autres et j’espère que cela sera aussi une préoccupation des générations qui nous suivent.

AB / Gazzettango

    Cet aller retour entre improvisation et chorégraphie est un vrai enjeu. Je suis certaine qu'il y a un public tanguero ressentant de l'émotion a vous voir improviser plus que devant une technicité absolue.
    Moi, j'ai envie de vous remercier également puisque nous sommes sur le sujet des prises de risques d’organiser un festival à Paris. Il y a eu récemment une intervention de Michelle qui organise la milonga Bahia Blanca assez émouvante la dernière fois qu'elle avait fait venir un couple de danseurs argentins pour une démonstration. Elle disait au public français : « Faites attention car ces gens viennent de très loin et peut-être qu'un jour, ils ne viendront plus ». Ca coûte de l'argent, c'est de l'énergie et c'est un privilège qu'il y ait toujours eu cette relation presque intime entre Paris et Buenos Aires. Mais on sent qu 'il y a un danger et que ce lien est menacé.

SA
    Oui il ya un danger. Que nous ressentons depuis quelques années à Paris. Je ne parle pas des Français en général mais de Paris. Ils ont été très gâtés mais d'une façon qu'il est difficile d'imaginer. On parle de la présence pendant des années de Pablo Veron, de Chicho, de nous et d'autres. Des gens qui dans le reste du monde et à Bs As sont constamment sollicités et ont du mal à répondre à la demande de cours constante.

MM
    Paris a été gâté dans la mesure ou ce n'est pas seulement le tango avec « une seule » face qui été donné à découvrir. Paris a pu se nourrir de différents Tango avec des styles et des approches différents.

Il y a des villes importantes comme Londres par exemple ou il est très difficile de voir différente manière de danser. Paris a été un passage pour beaucoup d'Argentins. Il y a des Argentins qui sont restés mais aussi ceux qui sont passés.

SA
    Mais c'est vrai qu’aujourd'hui les profs qui sont de passage ressentent moins l'envie de venir et de rester car les cours sont difficiles a remplir. Ils ont aucune idée....j'insiste la dessus…les parisiens de la chance qu'ils ont. Nous aussi avec Mariana nous nous interrogeons. J'ai beaucoup appris ici, nous avons été accueillis. Mais quelques chose est en train de s'essouffler.

Et nous avons le désir aussi de retourner en Argentine dont nous avons dû partir à nos débuts car comme on dit « Nul n'est prophète en son pays ». Quitte à faire des sacrifices pour que vive notre Tango et ce que nous avons à défendre autant le faire chez nous. Nous nous sentons beaucoup plus préparés aujourd'hui à nous battre. La ou il ya du sens et un enjeu. J'ai cette énergie pour faire des projets. Je pense que ce qui a changé à Buenos Aires aujourd'hui c'est cette vague de nouveaux danseurs et surtout des nouveaux musiciens. J'ai le désir de faire des événements avec plus d'artistes (et la bas il y a un vivier), plus populaire et encore moins cher.

AB / Gazzettango

    Avant de conclure si vous voulez bien je voudrais vous lire un passage du devoir de mémoire de Sol Bustelo** qui me semble bien compléter vos propos. « Les médias ont répandu une image caricaturale du Tango qui met l’accent sur la passion, et la technicité chorégraphique. C’est pour cela que la plupart des débutants dans un cours de Tango veulent apprendre des pas et des figures. Selon le danseur, pédagogue et théoricien du tango, Dinzel "Dans toutes les danses populaires ce qui détermine la spécificité de la danse c’est la forme chorégraphique, dans le Tango c’est exactement l’opposé ce qui détermine la spécificité de la danse c’est la manière et ce qui la qualifie c’est la forme. Le Tango est une danse improvisé c’est pour cela que la forme ne pourra jamais être déterminante car elle n’existe pas. La chorégraphie se divise en deux partie ou état différencié : la forme chorégraphique et la manière chorégraphique."… »

SA
    Je suis complètement d’accord. Bien que l’approche de Dinzel sur ce qu’il appelle la forme est très différente de celle que nous avons. Il y a ce que nous appelons la composition, ce que lui nomme la forme : ce sont les pas. Et ensuite il y a la question de la manière, le style. Bien que lui-même est en partie aussi responsable de ce dont nous avons souffert nous les danseurs de bal.

Il représente le « Tango Argentino » de l’époque. On se rend seulement compte aujourd’hui que c’était un tango trop mis en scène. Mais je suis complètement d’accord avec ce que Sol Bustelo défend. Les élèves te demandent parfois des choses folles. Mais c’est ce que les médias ont vendu : le sexe ou la vulgarité sont plus faciles à vendre que la subtilité et la complexité intellectuelle du Tango.

AB / Gazzettango

    Il y a une sorte d’inversion des rôles : parfois dans les bal on observe des tangueros se livrer à des tentatives de prouesses techniques alors que les maestros seront plus pudiques et discrets dans le même contexte.
    La manière est une question essentielle de l’histoire artistique que nous connaissons bien ici en Europe depuis le Maniérisme italien de la Renaissance. Je me souviens d’un tableau*** en bas duquel se trouve un objet qui ressemble un peu à un pain. Si tu te déplaces, symboliquement si tu acceptes de quitter ta place de simple spectateur, tu verras en regardant de coté qu’il s’agit d’une tête de mort. Et cela dans une peinture du 16ième siècle. C’est une manière de dire que l’art ne doit pas être là pour « en imposer » mais plutôt ouvrir une brèche vers des questions plus profonde.

Merci beaucoup d’être venue défendre cette « complexité du Tango » dans nos colonnes.

SA
    Oui pour nous c’est une quête importante : seul le contenu et le sens font la différence entre un simple exercice physique et un art.

AB / Gazzettango

    Alors rendez-vous au CITP et précisons que vous êtes à Paris tout l’été avec l’organisation de la Milonga « Los Mareados » sur la péniche Ninox et plusieurs cours et stages. Retrouvez toutes ces informations dans la Gazzettango.

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* Cf. L’Argentine rebelle, de Cécile Raimbeau et Daniel Hérard. Ed. Alternatives.
**Devoir de Maitrise de Sol Bustelo (professeur, danseuse, chanteuse et comédienne), Université Paris de Paris 8. http://www.bustelo-tango.com/
*** Les Ambassadeurs français à la cour d’Angleterre, de Holbein.

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