Tango Cette danse émerge du cœur même de l’arrabal (faubourg) dans l’univers des bas-fonds sordides de Buenos Aires vers la fin du XIXème siècle. Le tango est à son origine un genre de chanson de gauchos accompagnée à la guitare. Il absorbe des éléments du candombe et de la milonga, parodie, pour les Blancs, des chants de carnaval noirs, intégrée par la suite au répertoire des payadores (c’est à dire des chanteurs s’accompagnant à la guitare). La ligne de basse - syncopée - du tango provient de la habanera, importée de Cuba par des marins vers 1850 puis interprétée en Argentine sous le nom de « tango ». Vers 1895, sa chorégraphie commence à se styliser, avec certaines figures caractéristiques.
A l’inverse du candombe - jubilatoire - où hommes et femmes se faisaient face, le tango, frémissant et tendu, se danse joue contre joue. Il conserve néanmoins deux figures du candombe : le corte (arrêt soudain) et la quebrada (torsion du buste). Il fut joué d’abord uniquement par la guitare, ensuite par des trios de tangos composés de clarinette (ou flûte), violon et guitare (ou harpe). Le bandonéon remplacera progressivement la flûte et deviendra, avec son phrasé haché et sa plainte lancinante, l’instrument clé de cette danse. La musique, pleine de grâce et de vivacité, exprime la sensualité et la gaieté des prostituées françaises, italiennes et espagnoles vivant dans les bordels de 1900 et de leurs clients, immigrés, soldats, voleurs, marins et mauvais garçons. Dans cet univers glauque, le gaucho, héros de la Pampa, cède la place au compadre, marlou gominé dissimulant sous ses airs de bravache l’aiguillon de la misère et la terreur de l’abandon. C’est dans l’ivresse du tango, serrant contre lui sa mina (femme) qu’il prend sa revanche sur l’amertume de son destin. De 1900 à 1915, le tango chanté en « lunfardo » (argot truffé de mots italiens et français) se love dans les maisons closes et les troquets. Canaille et vulgaire, le tango de l’époque suscite le mépris de l’élite argentine, mais vers 1905 l’Europe et les Etats-Unis, grâce à l’essor du phonographe, découvrent cette danse et une véritable fièvre s’empare aussi de l’Angleterre, de l’Allemagne et de l’Amérique Latine.
Après son triomphe à l’étranger la bourgeoisie se réconcilie avec le tango et l’arrivée en Argentine du jazz et des danses anglo-saxonnes concourt à la réhabilitation de cette musique. En 1930 commence une autre époque du tango. La danse s’épanouit et se raffine et la musique acquiert une portée artistique, avec un jeu lyrique et des arrangements savants. On cesse aussi de le danser et l’on se contente désormais de l’écouter. La transformation est radicale : le mouvement devient plus lent, un sentiment de mélancolie soutient ses nouvelles harmonies, un esthétisme mélodramatique qui se complaît dans la solitude, le désespoir, la mort, la fuite du temps, l’inconstance de la femme et l’absurdité de la vie justifie la très belle formule du poète Enrique Santos Discépolo : « pensée triste qui se danse ».
A partir des années 60, Astor Piazzolla révolutionne le tango, introduisant le tango de concert. |