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Style canyengue
 
 

Article très détaillé et agréable à lire.
Ecrit à Québec en novembre 2005 par Boguslaw Dygasiewicz. Publié avec l'aimable autorisation de l'auteur
et de Tango Canyengue Montréal

 

                                  CANYENGUE danse canaille
                par Boguslaw Dygasiewicz, écrit à Québec en novembre 2005

Ça veut dire?....

    Selon Martha Antón et Luis Grondona, professeurs de tango de Buenos Aires, le canyengue c'est "l'essence pure du début du tango". Ses origines remontent autour de 1900. Dans une langue africaine, le mot "canyengue" signifie : marcher en cadence. Le canyengue utilise "el abrazo", la façon de se tenir ensemble, de la même manière qu'à l'origine du tango. La façon de marcher est souple, espiègle, sensuelle et divertissante. Ses mouvements sont coupés; au début sur le rythme 4 x 8, plus tard, avec le temps, ils se sont transformés en rythme actuel - 2 x 4". (traduction libre de l'auteur du texte)

     Mais, comme tout ce qui touche le tango, il y a d'autres explications concernant le mot "canyengue". Selon José Gobello (auteur de livres sur le tango) le mot vient de deux africanismes: "candombe" et "yongo". Ensemble, ces deux mots forment "canyongo" pour devenir, par des transformations linguistiques, "canyengue".
    Un autre auteur, Eduardo Stilman, croit que ce mot signifie: "diminué" ou "paresseux", dans le dialecte des esclaves noirs arrivés dans la région du "Rio de la Plata". Il suppose que son application au rythme du tango est due à la chorégraphie des débuts de cette danse, où le danseur montrait sa virtuosité en exprimant l'indolence ou le dégoût dans ses mouvements corporels.
Roberto Laguardia Trias va aussi dans le même sens en affirmant que le mot "canyengue" provient du mot "ngengue", lequel, dans une langue (toujours) africaine, signifie "inutile". Après l'ajout du préfixe "ka" et une petite modification, on est arrivé à "canyengue".

On pourrait ajouter encore d'autres significations confirmant les origines roturières du mot et, par ce fait, du tango lui même. Et la liste serait assez longue. En voici quelques-unes: canaille, "arrabalero" (faubourien), de la basse classe sociale, de milieu défavorisé. Aussi: détérioré, abimé, gâché, diminué (amoindri). Comme nous voyons, au début du XXème siècle, canyengue était synonyme de quelqu'un de marginal, vivant dans les quartiers pauvres, les faubourgs. Même aujourd'hui, cette image n'est pas disparue complètement. Un ami, danseur professionnel argentin, m'a dit qu'il danse le canyengue pour rigoler et pour se moquer. Et il n'est pas le seul à entretenir ce point de vue.

Et cela a commencé comment ?
      Comme on le sait, le tango est né dans les "conventillos" des quartiers populaires de Montevideo et Buenos Aires; dans les faubourgs, dans les salles de danse de basse condition et les bars mal famés, dans les maisons closes et sur les trottoirs. Il n'est donc pas surprenant qu'au début, le tango était mal vu et dénié par la "bonne société". Car, selon elle, le tango, c'était la danse pour la plèbe, pour la populace, les prostituées et les malfaiteurs. C'est seulement après son passage triomphal, autour de 1907-1914, dans plusieurs capitales européenes, que les salons à Buenos Aires et à Montevideo ont commencé à apprivoiser le tango. Cependant, la clientèle des salons refusait de danser de la même façon que la classe populaire. Alors, la danse "canaille" est devenue plus polie, plus élegante. Et le chapeau d'un "compadrito" a été remplacé par le cylindre d'un "monsieur" vêtu d'un frac, accompagné d'un coupe de champagne. La danse de la classe populaire a envahi les salons, en devenant le "tango-salon". La "bonne société" a enlevé au tango son allure canaille en le dansant sans déhanchements, ni accroupissements. On se permettait d'exécuter ces fioritures provocantes seulement en l'absence des dames, et - pour plaisanter - . Les vieux tangos ont été dépouillés de leur rythme "canaille". Après tous ces ajustements le tango est devenu plus acceptable pour les salons.

Comment on danse cette "canaille"?

Pour y répondre, voyons comment on la joue, car le canyengue - c'est la façon de danser, mais aussi - la façon de jouer. Celle-ci consiste à frapper les cordes de l'instrument avec l'archet et le plat de la main. Cette manière a été inventée par le contrebassiste de l'orchestre de Roberto Firpo, Leopoldo Thompson. Et dans plusieurs tangos joués par cet orchestre on peut distinguer ces fioritures. On peut les retrouver aussi dans l'interprétation d'autres orchestres, comme, par exemple: Julio De Caro, Osvaldo Fresedo, Juan Bautista Guido, Francisco Canaro, Edgardo Donato....
La musique a un rythme soutenu, assez régulier et bien prononcé. Les phrases musicales sont, généralement, bien définies et se prêtent bien aux enchaînements des différents pas dans l'exécution de la danse. Quant aux danseurs, ils se tiennent tout le temps rapprochés, "collés" l'un à l'autre. Le principe du tango qui veut que les deux personnes font une, est encore plus vrai dans le canyengue; les deux corps, sauf exceptions, ne se séparent pas. Les genoux des danseurs sont pliés (le plus bas possible), la femme se penche vers son partenaire et s'appuie sur lui, sans, toutefois, se suspendre à son cou. Grâce à cette posture les pieds sont éloignés et les danseurs forment une sorte de pyramide. La danse est composée de pas relativement simples, habituellement courts, répétitifs, bien définis, réguliers et rythmiques. Dans cette façon de se tenir et de danser on peut deviner les origines friponnes du tango. Oui, il faut admettre qu'elle n'est pas très élégante, mais elle est coquine, amusante, espiègle et divertissante.
Donc, comme on peut voir, cette façon de danser se distingue bien des autres (tango-salon, milonguero ou tango-spectacle) par sa posture, la façon de se tenir et la façon de marcher. C'est un style bien particulier qui demande un certain effort physique (surtout au début de l'apprentissage) par le fait que les jambes sont pliées et qu'il y a une certaine contorsion des corps des danseurs, surtout pour la femme. 

C'est quoi - la différence?

Avant d'en faire la description, distinguons deux éléments importants qui composent la danse: 1) la forme (chorégraphie) et 2) la manière (façon de danser).
Généralement, dans les danses populaires et folkloriques, c'est la chorégraphie qui détermine la danse comme telle. Les danseurs exécutent ensemble les pas et figures dans un ordre préétabli. Et, dans ce cas-là, la manière (façon) de les exécuter devient secondaire. Dans le tango - c'est le contraire; c'est la manière d'exécuter les pas qui détermine la danse. Et c'est la forme qui est secondaire. Le tango - c'est l'improvisation, mis à part le tango-spectacle. Peu importent les pas et les figures exécutés; la manière de les réaliser est plus importante que la chorégraphie en soi. Et dans le canyengue, cet aspect est encore plus important. C'est la manière de se tenir et de danser qui fait la différence. Car souvent, les pas sont les mêmes que dans le tango-salon, dans le style milonguero ou dans la milonga, mais exécutés d'une autre façon.
Il y a un autre elément pour illustrer les différences entre le canyengue et d'autres styles de tango. Nous savons que dans le tango, l'homme guide sa partenaire, principalement, par les mouvements de son torse. Les commandes données par les bras sont secondaires et peuvent aider seulement dans certains mouvements, surtout dans les changements rapides de direction. Dans le canyengue - c'est différent. Évidemment, les mouvements du torse guident la partenaire (surtout qu'on est collé presque tout le temps), mais les indications données par les bras sont aussi importantes, spécialement dans les passages d'une position, dite "parallèle" vers la position "miroir" (et il y en a beaucoup).
Certains confondent le canyengue avec un autre vieux style de danser, appelé "orillero". Mais, ce n'est pas la même chose; la posture, la façon de se tenir et de danser sont vraiment différentes d'un style à l'autre. J'ai pu le constater en regardant un danseur et professeur de Buenos Aires, Juan Bruno, qui est venu, il y quelques années, à Montréal et qui a produit une video où il montre comment on danse orillero.

Disparition (presque).... et la renaissance.

Le canyengue était populaire, selon Luis Grondona, actuellement un des meilleurs (sinon le meilleur) danseurs de ce style, jusqu'aux années 40 du XX° siècle. Plus tard, cette façon de danser a presque disparu des pistes de danse. Personnellement, lors de mes séjours à Buenos Aires et Montevideo (les années 1998-2003), je n'ai jamais vu les gens danser canyengue dans une milonga.

Mais lors de mon dernier voyage là-bas (février-avril 2005) on a participé au premier Festival de Canyengue à Buenos Aires, organisé par MOCCA (Movimiento Cultural Canyengue Argentino), et on a dansait canyengue dans leurs milongas. MOCCA regroupe les "aficionados" de canyengue; il organise des cours et des soirées dansantes, se promène dans les milongas à Buenos Aires pour donner des présentations et populariser ce style. Ces présentations font revivre aux vieux tangueros leur lointaine et nostalgique jeuneusse. Le même phénomène, plus modeste toutefois, se produit à Montevideo, où on a été invités, avec ma partenaire, Sylvie Delisle, à donner des cours de canyengue et danser à la télévision uruguayenne. En Europe aussi (Allemagne, France, Espagne, Pologne, par exemple), il y a déjà des tangueros qui prennent le goût à plonger dans le passé.


AFFICHE du 19 ième festival de tango de Montévidéo qui a mis en vedette Boguslaw et Sylvie dans des prestations de tango canyengue au cours du mois d`octobre 2006.
   
Boguslaw Dygasiewicz et sa compagne Sylvie Delisle de Québec,
lors de leur passage à l`émission Ciudad de Tango de la télévision de Montévidéo en 2005

Les orchestres

En général, les vieux orchestres des années 20 et 30 jouaient dans un style qui se prête bien pour danser le canyengue. Parmi les plus connus soulignons: Francisco Canaro, Roberto Firpo, Julio De Caro, Típica Victor et Edgardo Donato. On peut ajouter à cette liste les orchestres un peu moins connus dans le milieu tanguero actuel, mais qui ont été populaires à l'époque, comme: Francisco Lomuto, Juan Bautista Guido, Juan Maglio "Pacho". Aussi: Cuarteto de Punta y Taco, Cuarteto Viejo de Buenos Aires, Salvador Pizarro, Tano Genaro, Bianco-Bachicha, ainsi que Orlando et son orchestre du Bagdad. Les orchestres de Carlos Di Sarli et de Osvaldo Fresedo nous ont laissé aussi des tangos, des années 20, qui ont été exécutés dans l'esprit du canyengue. Parmi les orchestres plus récents (les années 50) on peut mentionner Los Tubatango ou Quinteto Pirincho (Fr. Canaro). On pourrait ajouter aussi certains tangos d'un orchestre actuel de Miguel Villasboas, de Montevideo, un disciple du maestro Roberto Firpo.

Ici, je ne prétends pas énumérer tous les orchestres qui jouaient dans le rythme canyengue, mais ces quelques exemples représentent bien ce style "canaille".

Et pour conclure.... ...il faut bien constater que, à côté des nouvelles tendances et recherches dans l'univers du tango (pas toujours heureuses), la tradition reprend sa place dans l'histoire du tango et revient sur les pistes des milongas. Oui, on aime la vie moderne, mais on aime aussi entrer, de temps en temps, dans un musée, pour admirer des vieilles pièces...

 
Videos
 

- http://www.youtube.com/watch?v=E1CMOvOTCZ8. Cette démonstration de Anna Karrasik et Ernest Williams, 26 janvier 2008 à Huston, donne, malgré les performances de figures liées au caractère de démonstration lors d'un festival, une assez bonne idée de ce qu'a pu être le style canyengue au début du 20° siècle.
- Sur www.youtube, nombreuses autres vidéos de canyengue, de qualités inégales.