Cette immersion dans la culture tango, musique et danse mêlées, est menée par André Manoukian. Il pilote ce film, écrit et réalisé par Nathan Benisty, en introduisant et commentant, non sans ardeur, les différentes séquences. De l’évocation de Carlos Gardel (1890-1935) et son fameux Volver, créé en 1934, à celle, longue et riche, d’Astor Piazzolla (1921-1992) – dont de nombreux tubes irriguent le documentaire –, ce parti pris donne le ton original de cette échappée documentée et pédagogique, dans ce monde foisonnant né sur les rives du Rio de la Plata, à Buenos Aires (Argentine), mais aussi à Montevideo (Uruguay), à la fin du XIXe siècle.
La progression chronologique rappelle d’abord les origines variées du mot « tango ». Il est l’enclos dans lequel les Africains attendaient avant d’être vendus en esclavage, puis devient le terrain de fête des esclaves à Buenos Aires. Mais on dit aussi qu’il est un dérivé du mot espagnol « tambor » qui veut dire « tambour ». Or curieusement, souligne Manoukian, pas de percussions dans les orchestres traditionnels qui emballent un mouvement dont les racines seraient la habanera cubaine, mais également la valse et certaines danses paysannes du sud de l’Europe.
Le récit s’appuie sur de nombreuses images d’archives. En 1914, alors que la première guerre mondiale éclate en Europe, le tango, dansé entre hommes par les voyous de Buenos Aires, dans une ville peuplée d’immigrants où les femmes ne composaient qu’un quart de la population, commence à fixer ses codes. Il devient ce pas de deux intensément sophistiqué et sexuel dont l’apprentissage exige patience et méticulosité, ainsi qu’un impeccable talent pour le partenariat.
Les illustrations musicales et chorégraphiques qui ponctuent le film font parfois la part belle à des gestes décalés. Celui du chorégraphe Maurice Béjart (1927-2007), qui interpréta un tango dans les années 1970, ou celui, plus contemporain, de Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra national du Rhin, soulignent la façon dont le tango a essaimé dans les créations et répertoires de tous les styles. Du jazz à l’électro, de la variété au rock, Charles Trenet, Tino Rossi, Enrico Macias mais aussi Bernard Lavilliers ou Imany se sont glissés dans ses cadences souples et chahutées.
Plus proche d’une émission télévisuelle, par ailleurs, Le Tango dans tous ses états se savoure comme un hommage amoureux à cette culture, devenue patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’Unesco depuis 2009, et dont les fans se multiplient dans le monde entier. Manque tout de même à ce programme une vraie « gueule d’atmosphère », celle des nombreuses milongas de Buenos Aires où des danseurs de tous les âges et pays se retrouvent au coude à coude pour se griser de ses pas follement enchevêtrés.
Rosita Boisseau |