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Mémoire du Tango

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Les Petites Lettres
 

Petite Lettre n° 4
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06 juin 2017

 

   
    Grâce à Gérard Cardonnet, Mémoire du Tango vous emmène aujourd’hui à Buenos Aires, pour découvrir un lieu où le tango n’est pas une denrée touristique ou commerciale.

                                   ENTRE LE CHANT ET LE RASOIR
             Visite de « La Epoca », salon de coiffure hors du commun

    Sortant de la station de métro Primera Junta, j’arrivai en quelques pas dans ce quartier animé de Caballito au 877 de Guayaquil, adresse que m’avait donnée l’organisatrice d’une « peña de cantores » rencontrée la veille  dans une autre peña, celle de la casa de Titi Rossi.

Je croyais avoir mal compris, avec mon fragile espagnol, ses précisions sur une « peluqueria ».

Ma surprise fut donc relative en découvrant à cette adresse un salon de coiffure mais elle grandit quand je pénétrai dans un lieu étrange, dont le point commun entre les parties bar et coiffure étaient les objets qui en peuplaient l’espace, et remplissaient les vitrines couvrant les murs.  En fait, j’entrais dans un musée !

   
      Chineur depuis un quart de siècle, Miguel Angel Barnes, le propriétaire de « La Epoca », appelé aussi le « Comte de Caballito », a amassé ici un véritable trésor, « non seulement des objets, dit-il, mais de petits morceaux de souvenirs ».

    Pour la partie bar, halte appréciée des amateurs de café attendant leur tour, les tables rondes de marbre laissent un étroit passage vers le vieux piano – français s’il vous plait – surmonté d’un orgue de barbarie jouxtant sans anachronisme une caisse enregistreuse à manivelle. Vous aurez déjà remarqué, perché sur la dernière étagère, un vieux gramophone : il date de 1887.

      C’est là que se retrouvent chaque vendredi des amoureux du tango-canción, pour écouter des chanteurs aficionados qui font vivre avec passion un autre trésor, celui d’un riche répertoire musical  dont ils sont fiers en bons porteños. Ce sont pour la plupart des gens du quartier, fidèles de ces retrouvailles hebdomadaires. C’est peu dire que la présence de Français qui chantent « leur » tango ne passe pas inaperçue.

En passant devant une vieille cabine téléphonique datée de 1910, on accède au salon de coiffure, accueilli par deux messieurs, dont Miguel, en gilet doré, vous proposant un fauteuil dans lequel à l’évidence des générations se sont succédées. Plus que les fauteuils, me fascinèrent de curieux poêles dédiés au chauffage des serviettes humides qui amollissaient les joues des candidats au rasage.

    Je n’en négligeai pas pour autant les magnifiques blaireaux, porte-serviettes et bassins à barbe dont le plus récemment acquis est estampillé « République Française »

    Les publicités d’époque des diverses lotions valent à elles seules le déplacement. J’eus seulement un doute sur les performances d’un vieil extincteur en cuivre pour le cas où s’enflammeraient subitement les anciens parfums, eaux de Cologne et autres crèmes à gominer garnissant les innombrables étagères.
    Mes relations avec Miguel furent certainement facilitées quand je lui confiai être fils de coiffeur – cette confidence me sauva peut-être la vie qui ne tint qu’à un fil… de rasoir comme l’atteste une photo illustrant cet article - .

Si son métier n’était pas héréditaire, son local par contre l’était puisqu’il avait abrité le commerce de fruits et légumes de ses parents. Nul ne regrettera cette transformation qui a doté Buenos Aires et ce quartier d’un lieu reconnu depuis l’année 2000 comme « Site d’intérêt culturel ».
    Si vous êtes arrivé jusqu’à la fin de cet article, il est déjà trop tard, vous savez déjà que « La Epoca » est devenue pour vous aussi un lieu incontournable !

           Gérard Cardonnet.
                28/12/2016