Les dinosaures du tango, par André Vagnon
Mon fauteuil…un moment de calme après le repas. A la main, une anthologie de tangos, comme alibi. Sur le tapis, quelques dinosaures en plastique verdâtre, oubliés par mon petit-fils. La lecture se ralentit, les lignes se brouillent, les yeux se ferment et je sombre.
C’est la chute du livre qui me réveille. Quel rêve bizarre ! Dinosaures et tango se fondaient étrangement. Les grosses bêtes verdâtres dansaient avec componction, la tête un peu inclinée…Le long coup des danseuses marquait le rythme d’un orchestre invisible. Une sorte de milonga paléontologique… Allons ! Soyons sérieux…pas de dinosaures dans le tango… Quoique…
Et, sans conviction, je vais pourtant farfouiller dans ma documentation.
Oh surprise ! voilà un beau spécimen de plésiosaure…El Plesiosauro, tango pour piano de Fernando Randle. Et en voilà encore un autre, venu de Montevideo, Ya lo traen al Plesiosaurio, dont la légende souligne le sérieux : tango antediluviano para tango ! Et un troisième, avec des paroles, en plus : El Plesiosauro, de Rafael d’Agostino !
Mais que viennent donc faire ces bêtes monstrueuses dans le monde du tango. C’est toute une histoire.
En 1922, Clemente Onelli, directeur du jardin zoologique de Buenos Aires, reçoit, du fond de la province de Chubut, Patagonie, une lettre décrivant empreintes, fragments de peau, excréments et même silhouette aperçue d’un animal énorme. Notre directeur se rue sur ces indices et conclut qu’un plésiosaure vit encore dans les eaux d’un lac perdu du Chubut, confirmant ainsi quelques vieilles légendes indigènes.
La presse s’empare du sujet. Une expédition est préparée. Londres, avec The Times, informe l’Europe scientifique. Les Etats-Unis envoient quelques experts. On monte une souscription, à l’initiative de la SPA locale, pour ramener vivant l’animal. Bref l’effervescence médiatique est grande, et elle contamine le monde du tango qui met en musique la préoccupation du moment. C’est ainsi que le plésiosaure fait danser les milongueros.
Le 27 mars 1922, la formidable expédition est sur place. Elle cherche…en vain… Et le 1° avril 1922, Buenos Aires éclate de rire. Le plésiosaure s’est envolé, a disparu. Certains affirment qu’il est allé prendre ses quartiers d’été en Ecosse, dans le Loch Ness. D’autres suspectent Onelli d’avoir monté l’affaire pour augmenter la notoriété de son zoo.
Mais encore aujourd’hui, du côté de Bariloche, on affirme avoir aperçu, parfois, une silhouette gigantesque, dans les brumes d’un lac…
Et les dinosaures en plastique verdâtre, sur le coin du tapis, semblent me dire « Premier avril ou non, nous avons bien notre petite place dans ton univers tanguero… »
Note : Cet article doit beaucoup à la documentation de Oscar Himschoot et au n° 40, janvier 2000, de la revue Club de Tango, p 15 à 19.
in revue Tout Tango, n° 15, avril-juin 2008, p.11