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Musique libre de droits.
Article de Le Devoir.com, du 16 août 2010
 
Historique
 
    
                    Musique classique - Portes ouvertes chez Ali Baba

      Internet fait le bonheur croissant des mélomanes intéressés par l'histoire de l'enregistrement. De nombreux documents sonores, parfois rarissimes, sont désormais accessibles gratuitement en toute légalité.

     Il y a dix ans encore, l'édition phonographique d'enregistrements historiques était une affaire très lucrative. Les étiquettes anglaises Pearl ou Biddulph, le français Lys, ont fait leur miel — et leur fortune — de cette activité en vendant 30 $ des CD reproduisant des 78 tours libres de droits.

Marché chamboulé


     Sur le plan juridique, l'affaire est blindée. La législation française a trouvé le beau nom de «droits voisins» pour définir de quoi il en retourne. Ces «droits voisins du droit d'auteur» sont accordés aux artistes-interprètes sur leurs interprétations, aux producteurs de phonogrammes (et vidéos) sur les oeuvres qu'ils ont financées et aux entreprises de communication (radios) sur les oeuvres qu'elles diffusent. L'épuisement des droits voisins amène l'objet (en l'occurrence l'enregistrement) à tomber au bout de 50 ans dans le domaine public. Cette règle des 50 ans vaut dans l'Union européenne comme chez nous, où l'Office de la propriété intellectuelle du Canada adopte la dénomination d'«autres objets du droit d'auteur».

     S'agissant de la musique, vous pouvez en déduire que, depuis trois ans environ, les premiers enregistrements stéréophoniques tombent progressivement dans le domaine public. En classique, on quitte ainsi l'univers de Toscanini pour entrer dans celui de Glenn Gould, Fritz Reiner, Charles Munch ou Leonard Bernstein... Ces enregistrements libres de droits ont, par exemple, fait le bonheur des producteurs des coffrets d'Edgar Fruitier, très majoritairement constitués d'archives cinquantenaires gratuites.

    Maintenant, on a le choix d'acheter un coffret d'Edgar Fruitier ou de se servir gratuitement sur Internet! En fait, ce n'est pas si simple ou si tranché que cela: Edgar Fruitier sélectionne thématiquement des extraits musicaux à l'intention d'un public non averti, alors que la démarche d'aller chercher des archives sonores sur Internet implique un minimum d'intérêt ou de connaissances.

     Le fait est que le marché des transferts intégraux, en CD, des grands enregistrements du passé est désormais chamboulé. Naxos y a ouvert une brèche, il y a dix ans, en divisant de plus de moitié le prix de vente des disques historiques. La collection «Naxos historical» est devenue aujourd'hui la première source d'enregistrements historiques.

     La création, il y a deux ans, du Met Player, site Internet du Metropolitan Opera, permettant, avec une formule d'abonnement, d'accéder aux archives et d'écouter en streaming des représentations historiques, a porté un coup très dur aux éditeurs et distributeurs de disques documentant des soirées lyriques historiques. Les étiquettes Myto, Walhall, Gebhardt et autres sont en perte de vitesse. Mais pour qui désire archiver des documents, la caverne d'Ali Baba s'ouvre depuis un an et demi environ. Dans le domaine du téléchargement gratuit d'enregistrements tombés dans le domaine public, on trouve des sources publiques ou semi-publiques et des initiatives privées ou individuelles.

Institutions


     'European Archive Foundation (www.europarchive.org), créée en 2006, vise à mettre à disposition gratuitement des collections du domaine public issues des archives nationales des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l'Italie et de la France. Le volet musique classique comprend 842 albums microsillons. Après une croissance initiale rapide, le projet semble plafonner un peu. Le site Europarchive propose le choix entre plusieurs types de formats sonores, plus ou moins compressés. Mais les documents sont souvent «postés» tels quels, sans soin ou souci de la qualité sonore. Sur certains on entend l'aiguille de la platine tourne-disque labourer une fin de face pendant des minutes. Un logiciel tel qu'Audacity (gratuit) est recommandé pour polir des documents largement défraîchis.

     Le site europarchive.org est partenaire d'Internet Archive (www.archive.org), basé à San Francisco, source la plus large et la plus profuse de documents de toutes sortes — dont plus d'un million de livres. Il n'y a pas vraiment de section classique digne de ce nom: beaucoup de temps est nécessaire pour glaner un maigre butin.

     Fascinant, au contraire, est le CHARM, Centre for the History and Analysis of Recorded Music, du King's College de Londres (www.charm.rhul.ac.uk). On évolue là dans le très sérieux et, souvent, le très rare. Le site est facile d'utilisation: il suffit de chercher dans «Sound files». Tous les documents (britanniques en quasi-totalité) sont traités avec le plus grand soin et postés en format FLAC (Free Lossless Audio Codec), qui préserve leur qualité sonore. Images des étiquettes et détails complets sont associés aux fichiers.

Le coin des passionnés

     Outre les institutions, des individus plus ou moins généreux et désintéressés mettent à la disposition du public de la musique parfois rare. Ancien animateur de radio en France, Éric Lippman a créé www.musigratis.com. Il suffit de s'inscrire, c'est gratuit et on peut écouter ou télécharger des enregistrements du domaine public classés par chefs, par chanteurs, par solistes, etc. L'assortiment est composé d'enregistrements connus et les fichiers MP3 sont compressés à 128 ou 160 kbps, ce qui est insuffisant en classique, surtout quand on veut écouter Berlioz dirigé par Charles Munch. Musigratis intéressera peut-être les non-initiés.

     Pour les grands amateurs, il y a des blogues quasi miraculeux de collectionneurs désintéressés, animés par le seul désir de partager leur passion et leur érudition. Les deux plus spectaculaires, d'ailleurs construits sur le même modèle, sont quartier-des-archives.blogspot.com, en français, et nealshistoricalcorner.blogspot.com, en anglais.

     Dans le premier, beaucoup de documents français jamais réédités, comme ces sept enregistrements du Quatuor Loewenguth — discographie complète en prime! —, la seconde cantate de l'Oratorio de Noël par Fritz Munch (le frère de Charles), avec Hugues Cuénod en Évangéliste, ou Jacques Thibaud dirigeant Henryk Szeryng dans le Concerto pour violon de Beethoven en 1950. Selon les confidences de mon collègue Claude Gingras, c'est tellement rare que même Szeryng lui-même ne possédait pas cet enregistrement!

     Le site anglophone Neal's Historical Corner comporte encore davantage de fichiers (en bon MP3 ou en FLAC): Vincent d'Indy jouant ses propres oeuvres, Siegmund von Hausegger dirigeant Liszt, etc. Dernière marotte en date: un filon d'enregistrements historiques tchèques Ultraphon des années 1930 et 1940. Pour happy few, certes. Mais ceux-là ont de quoi être vraiment heureux!
 
Références bibliographiques
 
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