Le site de référence de la planète Tango
Mémoire du Tango

°
Les Petites Lettres
 

Petite Lettre n°6
-
06 juillet 2017

 

  1910. Le tango et la bonne société de Buenos Aires. Antonio de Marchi.

    On a souvent écrit que c’est grâce à Paris que le tango a pu conquérir la bonne société de Buenos Aires. L’histoire nous montre que l’Argentine n’a pas été en retard pour cette évolution, même si les nouvelles de la tangomania parisienne, que la presse argentine décrit en détail et avec grande complaisance, ont favorisé et facilité cette pénétration du tango dans toutes les couches sociales portègnes.
    
     Si dès le début du XX° siècle, les hommes de la bonne société connaissent bien le tango c’est qu’ils fréquentent, en goguette, la Boca, la Recoleta ou Palermo. Ils pratiquent le tango des origines, avec tous ses aspects mal famés.
     Mais dans les familles, le tango n’est pas absent, grâce aux orgues de barbarie, aux partitions jouées au piano (on parle de 18.000 pianos importés à Buenos Aires entre 1900 et 1910) et surtout aux enregistrements sur cylindres ou disques qui se répandent assez vite. Et quand on commence, vers 1910, à danser en famille, le tango s’est assagi, pour devenir « liso », ou « de salón ».

   La grande percée du tango dans la très haute société est due, au début de la deuxième décennie du siècle, à un personnage de cette société, le baron Antonio María De Marchi.

 
    Né à Pallenza, Italie, le 25 août 1875. Mort à Buenos Aires le 20 février 1934. Epoux de doña María Roca, fille du président argentin Roca. 
    Il était très riche et menait une vie de play boy, passant son temps dans les lieux de divertissement et comme animateur de nombreuses associations sportives. Il était ami de l'aviateur Jorge Newbery et organisait des événements sportifs de haut niveau.     
    En 1915, il retourne en Italie, sa patrie, pour s'enrôler comme volontaire et ne revient en Argentine qu'en 1919, après la fin de la guerre.
 

       De Marchi est donc l’un des premiers organisateurs d'événements Tango.


Soirée chez une famille célèbre. Vers 1911, le baron Antonio de Marchi organise " une soirée dans la demeure d'une famille célèbre, afin que ces messieurs-dames connaissent la danse.", comme le signale Enrique H.Pucci dans le livre El Buenos Aires de Angel G.Villoldo.

Fête du Palais de Glace de Buenos Aires. 1912

   En 1912, de Marchi organise au Palais de Glace de Buenos Aires une fête qui permet à la danse des bas-fonds une entrée fracassante dans la bonne société. On y interprète plusieurs tangos dont certains très connus, comme La Morocha, avec son auteur, Enrique Saborido, parmi les danseurs. C'est l'orchestre de Genaro Espósito qui anime les deux soirées.
 
 

Le Palais de Glace, construit sur le modèle français, est inauguré en 1910 comme salle de patinage sur glace.
Mais la mode ne dure pas et, moins de deux ans après, il est transformé en salle de bal.     
      Le 11 décembre 1915, c'est en sortant de cette salle que Carlos Gardel reçoit une balle qui s'est logée trop près du cœur pour qu'on puisse l'extraire. Il l'a gardée jusqu'à sa mort.    

Le Palais de Glace devient un haut lieu du tango, avec deux dancings, le Vogue´s Club et le Cyros, aménagés en 1920 dans le bâtiment. Julio De Caro s'y est produit.     
En 1931, le ministère de l'éducation récupère les locaux pour en faire un musée des Beaux Arts et un lieu d'expositions, toujours en fonction.

 

Concours du Palace Teatro, 22-24 septembre 1913

     Avec ses amis, dont l'aviateur Jorge Newbery, le baron Antonio de Marchi organise le premier concours de tangos sous le parrainage de la Sociedad Sportiva Argentina. Il a lieu au " Palace Teatro ", actuellement disparu, au 757 de la rue Corrientes, durant les nuits du 22 au 24 septembre 1913.     
     L'invitation est signée par Maria Luisa Quintana de Rodriguez Larreto, Elvira de la Riestra de Lainez, Esther Llavallo de Roca, Carolina Benitez de Anchorena, Maria Roca de Demarchi (épouse du baron De Marchi et fille du président argentin Julio A.Roca), Maria Estrada de Lezica Alvear, etc. Cette liste ressemble beaucoup plus à une réunion de gala de la haute société qu'à une invitation à un concours de tango...     
 
Le jury est composé de Don Julian Aguirre, Armando Chimenti, Daniel Videla Dorna et Vicente Madero.

   C'est Florencio Parravicini qui anime le spectacle. Et les danseurs Francisco Ducasse et César Ratti font une démonstration. Le premier prix aurait été attribué au tango El Karacul, de J.C.Spreatico.

[ Selon José Gobello, puis Nardo Zalko, le premier prix est attribué au tango American Cirque Excelsior (titre transformé plus tard en El Tony), dû à un Français qui signait J.Nirvassed, de son vrai nom José de Wavrin, ou Dewavrin. Mais ce prix a été contesté en raison de la nationalité française de son auteur.]
 

      A propos de cet événement, un journaliste anonyme, qui signait "Viejo Tanguero" dans le journal Critica, de Buenos Aires, écrit en septembre 1913 :  " [...] la première nuit fut formelle, correspondant à l'assistance aristocratique de la salle, mais la deuxième fut tout autre. L'atmosphère était devenue populaire et démocratique. Même les danseurs s'étaient familiarisés avec le public. Une des principales incitations était la réduction du prix d'entrée, de 15 à 5 pesos."

 

De Marchi n’a pas été le seul promoteur du tango hors des bas-fonds de la ville.
  Ci-contre, un autre concours de tango, organisé par Don Cayetano Ganghi.
 Ce concours est fréquenté  par une bourgeoisie nettement distincte des couches populaires d’origine.

  Photo parue dans la revue Caras y Caretas n° 706, du 12 avril 1912, page 77.
 
        C’est donc à peu près simultanément que le tango conquiert Paris, puis toute l’Europe, et les différentes couches sociales argentines. Et les riches Argentins, comme  Ricardo Güiraldes, Miguel Tornquist, Vicente Madero, Daniel Videla Dorna, Bermejo et bien d’autres, qui font souvent l’aller-et-retour entre les deux capitales, sont pour beaucoup dans cette symétrie.
 
Références bibliographiques
 

- Gobello, José, Cronica general del tango, Ed. Fraterna, BsAs, 1980, p. 117 à 123. 
- Zalko, Nardo, Paris-Buenos Aires, p.91-92. 
- http://www.ibr.com.ar/fervorxbuenosaires
- http://www.tangoreporter.com/nota-palais.html. En espagnol. Article très détaillé sur les activités du Palais de Glace et surtout des événements organisés par De Marchi.
- http://www.ellitoral.com/index.php/diarios/2014/10/11/escenariosysociedad/SOCI-03.html. Eléments intéressants sur la biographie de De Marchi.